Loin de Cap 2022, des alternatives de progrès

Dévoilé dans des conditions chaotiques à l’été 2018, le rapport du Comité action publique 2022 (Cap 22), élaboré à la demande du gouvernement par une commission de hauts fonctionnaires, de dirigeants d’entreprise et d’experts, s’inscrit dans une longue série d’études du même ordre visant toutes à « moins d’État ». Mais qu’est-ce que cela signifie ?

La réponse tient en un chiffre : 30 milliards d’euros d’économie.

Elle s’inscrit dans un horizon : 2022. Elle se décline en 22 propositions précises : toutes visent à réaliser des économies via des suppressions de postes, des restructurations de services et des abandons de missions avec, à la clé, une attaque frontale contre le statut de la fonction publique. Même si l’exécutif a semblé prendre ses distances vis-à-vis de certaines de ces préconisations, essentiellement pour apaiser la fronde montante des élus locaux, vent debout contre ce qu’ils analysaient à juste titre comme une manœuvre d’étranglement, il reste profondément en accord avec l’esprit général et les grandes orientations de la commission.

Comme pour le rapport Longuet, comme pour la Révision générale des politiques publiques (Rgpp) et comme pour la Modernisation de l’action publique (Map), les 22 mesures avancées par Cap 2022 le sont au nom, pêle-mêle, de la « modernisation », d’une « saine gestion » et de l’intérêt des usagers.

Un Cap qui tourne le dos aux besoins collectifs

Pour prévenir toute critique, aucune tournure cosmétique n’a été négligée. Difficile par exemple de ne pas souscrire à la proposition n° 1 qui vise à « refonder l’administration autour de la confiance et de la responsabilisation ». De même, qui pourrait se dire en désaccord avec l’objectif de la n° 5 : « réduire le renoncement aux soins, améliorer l’espérance de vie en bonne santé et désengorger l’hôpital » ? Ou de la n° 11 : « Se loger mieux à moindre coût » ? Malgré tout, certaines formulations feront tiquer celles et ceux qui ont eu à expérimenter choix de gestion ou restructuration dans leur travail. « Simplifier les dispositifs sociaux au titre de la solidarité nationale et mieux accompagner ceux qui en ont le plus besoin » renvoie par exemple à la possible – et bien pratique – opposition entre les pauvres et les plus pauvres. De même, « Aller vers une société “zéro cash” pour simplifier les paiements tout en luttant mieux contre la fraude fiscale » incite à penser – naïvement – que la fraude fiscale est affaire de petite monnaie, alors qu’elle constitue une véritable industrie financière mondialisée. Enfin, la n° 18 : « Supprimer les doublons et améliorer le partenariat entre l’État et les collectivités territoriales » évoque irrésistiblement réduction de postes et suppressions d’emplois. Ces associations d’idées ne relèvent d’aucun procès d’intention : elles naissent d’une expérience déjà longue de trains de réformes menés par l’État depuis les années 1970, tous annoncés comme modernisateurs et qui, tous, se sont traduits par du « moins » : moins d’emplois, moins de services, moins de couverture sociale.

Alors que les entreprises privées bénéficient d’innombrables dispositifs d’aides publiques, alors que les plus fortunés contribuent toujours moins au financement de la dépense publique, ce sont les agents de la fonction publique qui sont directement ou indirectement désignés comme un coût inutile.

Perversion ultime, c’est en invoquant les dégâts et la dégradation des services publics créés par chacun de ces plans que le suivant est justifié et que les critiques, singulièrement celles des acteurs syndicaux, se voient stigmatisées et dénoncées comme « conservatrices ». De fait, l’action publique est, depuis des décennies, littéralement étranglée financièrement. C’est une véritable crise que les gouvernements successifs ont organisée en favorisant le développement de la dette publique : les allégements fiscaux, les exonérations de cotisations patronales et la mise à mal des possibilités de prêt par des mécanismes publics ou semi-publics ont conduit à recourir aux emprunts sur les marchés financiers…

Aujourd’hui, alors que les entreprises privées bénéficient d’innombrables dispositifs d’aides publiques pour un coût de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros, alors que les plus fortunés contribuent toujours moins au financement de la dépense publique, ce sont les agents de la fonction publique qui sont directement ou indirectement désignés comme un coût inutile.

Tout indique que ces orientations et choix de gestion tournent le dos aux besoins collectifs, ceux des salariés comme ceux des usagers. Elles visent à cantonner la fonction publique à des missions strictement « régaliennes » et d’appoint aux besoins des entreprises et du marché, en rupture avec l’intérêt général, au détriment de l’égalité de traitement des citoyens et d’un développement humain durable. Aux antipodes des besoins croissants de démocratie et des besoins sociaux, cette mécanique de dépossession de l’appareil d’État et de la puissance publique aggraverait les effets générés par la crise qui, depuis des décennies, exacerbe les inégalités et les injustices sociales et territoriales. Elle éloignerait la perspective pourtant urgente d’une maîtrise raisonnée de la production et de la consommation.

Pour la CGT, le statu quo n’est pas satisfaisant

Cela ne signifie nullement, bien au contraire, que le statu quo soit satisfaisant. C’est pourquoi les organisations de la Cgt dans les trois fonctions publiques formulent une série de propositions alternatives se déclinant autour de trois axes majeurs.

Le premier prend en considération la croissance, quantitative et qualitative, des besoins sociaux et démocratiques dans une société de plus en plus complexe et interconnectée. Cela renvoie à la prise en compte des besoins fondamentaux liés à l’émancipation humaine : le droit à un emploi décent et pérenne, à l’éducation et à la formation tout au long de la vie, à la santé et à l’action sociale, à la justice et à la protection, au logement et aux transports, à l’énergie et à l’eau, à la culture, à l’information, à la communication et à la liberté d’expression. Cette ambition implique l’invention ou le développement de services publics susceptibles de répondre à des besoins nouveaux ou croissants comme c’est le cas avec le vieillissement de la population, et la nécessaire prise en charge de la perte d’autonomie.

Des propositions pour préparer l’avenir

Le second part du double constat de la désindustrialisation qui affecte l’économie française et de la nécessité de reconstruire un système productif en articulant la reconquête des activités et des emplois industriels, et le respect de normes sociales, sanitaires et environnementales, dans une logique de développement durable permettant aux générations d’aujourd’hui de satisfaire leurs besoins sans compromettre cette même possibilité pour les générations futures. Cet objectif est ambitieux. Il appelle la mise en œuvre d’une politique publique industrielle aux échelles locales, régionales, nationales et européennes, articulée aux nécessaires politiques publiques pour l’emploi, la recherche, la formation, la transition écologique et énergétique, les transports. Enfin, et à l’encontre des vagues de privatisations qui perdurent, il s’agit d’affirmer la nécessité d’une appropriation et d’un contrôle publics des biens et des services qui servent l’intérêt général, et la réappropriation de ceux qui ont déjà été privatisés ou sont en voie de l’être.

À partir de ces préoccupations, la Cgt formule une série de propositions constructives et novatrices 1 qui visent à ouvrir la fonction publique aux jeunes de moins de 25 ans sans diplômes, en créant à leur intention un « sas d’entrée », avec un recrutement par concours qui garantisse l’égalité entre les postulants. Pour prendre en compte les évolutions de la société et de ses besoins, réarticuler les missions des trois fonctions publiques entre elles, la Cgt propose, entre autres, de renforcer les passerelles entre ces trois versants.

Au chapitre du financement, elle propose de redonner une place prépondérante à la fiscalité directe progressive tout en réduisant le poids de la fiscalité indirecte et plus particulièrement de la Tva. Dans ce cadre, elle porte un ensemble de mesures consistant à faire monter en puissance les recettes fiscales générées par l’impôt sur le revenu, notamment en élargissant son assiette à l’ensemble des revenus financiers et du patrimoine, en créant de nouvelles tranches d’imposition, avec des taux relevés, et en supprimant les niches fiscales dont l’inefficacité économique et sociale est avérée. Elle soutient la création d’un pôle financier public qui reposerait sur la mise en réseau d’un ensemble d’institutions économiques et financières de statut public et semi-public exerçant des missions de service public et d’intérêt général.

Gilbert Martin

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